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POLLUTION

Saint-Jacques sonne si l'air cloche



Les grèves ont obligé les Franciliens à utiliser leur voiture. On s'attendait alors à une recrudescence de la pollution atmosphérique. Or les indices d'Airparif ont certifié que tout allait bien. Polémique ? Visite guidée d'une station de captage.

Sur la place du Châtelet, un petit manège pour enfants s'ennuie. Les bolides, bateaux ou avions miniatures qui tournent habituellement à la queue-leu-leu restent immobiles. Les rires des bambins ont fait place aux klaxons et aux vrombissements des autos -les vraies celles là-. Sur la plate-forme du manège, un petit hélicoptère mauve porte sur son semblant de plaque d'immatriculation l'inscription "Atmos 73". L'atmosphère, ici, on connaît. Sous l'╧il pétrifié quoiqu'amusé des statues qui l'ornent, la tour Saint-Jacques fend l'air parisien pour mieux le sonder. Elle est l'un des 60 sites d'altitude choisis par Airparif, l'observatoire de la qualité de l'air francilien, pour abriter une station de prélèvements, pour 11 sites dits "de proximité". Mais si peu de capteurs au ras-du-sol, n'est-ce pas biaiser les données, puisque l'usager entend juger la qualité de l'air que lui respire, non celle des (rares) volatiles à plusieurs mètres au-dessus ? "Nos capteurs de proximité sont ces boîtes métalliques que vous pouvez voir en bordure des trottoirs, explique Laurent, un technicien de maintenance. Ils sont environ à 2,5 m de haut... et nous jouent des tours : quand un bus s'arrête à leur niveau, on se prend une alerte rouge dès qu'il remet les gaz !" L'anecdote suffit à prouver qu'Airparif entend bien être un équivalent fiable du nez du quidam parisien. "Et si les indices sont bons actuellement, c'est parce qu'avec ce ciel couvert, on ne craint pas d'inversion de température." Comprenez : les couches supérieures de l'atmosphère sont suffisamment froides pour que l'air pollué du sol, plus chaud, puisse s'élever, selon le principe de la montgolfière. Un temps ensoleillé l'aurait cloué au sol. Au niveau du premier parapet de la tour, des tiges recourbées et terminées par des entonnoirs grisâtres se noient parmi les gargouilles. Elle acheminent l'air à l'intérieur de l'édifice, où il sera analysé. "Au XVIIe siècle, déjà, Pascal s'en servait comme site de mesure de la température", sourit Laurent. Ledit Pascal est encore là, statufié, sous le porche, narguant le technicien de dessus son piédestal.

"66 micros : R.A.S."
Dans une allure très gardien de phare, Laurent ouvre une petite porte donnant sur un minuscule escalier en colimaçon qui rendrait jaloux les organisateurs de Fort Boyard. "Je ne vous explique pas le scénario quand il faut descendre un appareil en panne", s'amuse-t-il, en gravissant les marches, genoux sous le menton. Bois qui craque, murs de pierre, tout inspire secret, mystère. Mais l'antiquité du lieu s'efface bien vite quand on découvre, dans une petite pièce, l'armada d'appareils d'analyse, tous affectés à une substance différente. "NO2 (dioxyde d'azote) : 66 microgrammes par mètre cube. R.A.S, puisque le premier seuil est à 200", sonne, monocorde, le technicien. C'était ce même NO2 qui, le mois dernier, est allé s'aventurer au-delà du niveau 3, stade de "prise de mesures d'urgence". Tout taux anormalement élevé est recensé au central, dans les bâtiments d'Airparif. Entouré de sinusoïdes et d'écrans de couleur, un gros ordinateur centralise, via un modem, les données saisies sur chacun des 71 sites de captage de la région. Sorte de Big Broth'air écolo qui ratisse en ronronnant l'atmosphère francilienne. Jongle avec les NO2, vomit ses chiffres en O3, camembérise le SO2, court les pics de 9 et 18 heures, les creux de milieu d'après-midi, les horizontales de la nuit. Laurent jette un coup d'oeil sur un tube vertical en inox qui émerge de dessous une bâche. "C'est le capteur de particules en suspension qui font moins de 10 microgrammes, celles qui peuvent franchir les filtres de nos poumons. Mais il ne fonctionne pas encore." Le technicien referme l'étroite porte de bois encastrée dans la muraille. Il a encore la tour Eiffel et quelques cellules photochimiques à inspecter. Laurent saisit un blouson et s'engouffre dans une voiture. Equipée d'un pot catalytique ? "Du tout ! Du diesel, du vrai !, scande-t-il, visiblement douteux de l'efficacité de cette technique : Quand je vais à la tour Eiffel, mon moteur ne tourne qu'une demi-heure, il ne chauffe pas. Or un pot catalytique n'est efficace que quand il chauffe." Dehors, les voitures continuent de s'embouteiller. L'air est froid et agité, juste assez pour que l'indice ne décolle pas du niveau "bon". Momifié dans une pierre vermoulue par le smog qu'au-dessus de lui on scrute, Pascal reste pensif.

Guillaume Maincent




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